Texte refusé par Le Devoir
J’ai écrit dans « Le voyou, le barbare et philistin » (La contamination des mots, Lux 2014), m’inspirant de la philosophe Hannah Arendt et de l’écrivain autrichien Hermann Broch, que Jean Larose était l’expression même du philistin cultivé, cet intellectuel qui cherche à se distinguer du peuple par son érudition chatoyante… le kitsch, quoi. Il en fait à nouveau la démonstration dans un texte qu’offre Le Devoir de jeudi dernier.
Quel texte décevant! La langue du désir? On ne peut pas dire qu’il prêche par l’exemple. Je suis bien d’accord : la langue de Pierre K. Péladeau n’a vraiment rien de bandante, et pas seulement lors de son gênant discours du 7 avril 2014, soirée de la défaite électorale du PQ, ni celle de Bernard Drainville.
Mais pauvre Jean Larose, on ne peut pas dire qu’il attise le désir politique et de la pensée avec sa littérature spéculaire dans laquelle il se regarde désirer le désir. Dans laquelle il aimerait admirer son érection qui peine à se déployer. Phallus de bois, de mélamine, de contreplaqué. Et il finit par lâcher le morceau, il bande pour Philippe Couillard: « Enfin, Philippe Couillard parla. Et le contraste fut si fort qu’on comprit non seulement que le meilleur avait gagné, mais que la langue française avait changé de bord. Les Québécois auront un premier ministre capable de parler français sans se croire obligé de faire des fautes pour faire peuple. »
La langue du désir de Jean Larose s’avère conformiste, formelle et convenue. Le voici qu’il bande pour la langue chirurgicale, agressive, positiviste, du libre marché, de l’austérité, de la croissance économique mortifère, de l’uniformisation culturelle déguisée en multiculturalisme, du simulacre de la démocratie fagotée par les experts du droit et des droits.
Jean Larose bande à vide, il est un fétichiste de la langue et il fait une fixation sur le mauvais objet. La langue du désir, qu’il confond avec la langue efficace de l’envie, ne s’exprime pas dans la classe politique officielle, de gauche comme de droite, et l’écrivain (vain) n’a apparemment pas l’organe qu’il faut pour entendre ce qui s’est exprimé lors du printemps de 2012, qui peine à bourgeonner, c’est bien vrai, mais qui ne manquait pas de vigueur, de clairvoyance, de raison et d’audace. Ce langage, pour filer la référence lacanienne, portait au moins un germe de liberté, que des « casseurs » parasitent aujourd’hui sous le regard hébété de toute une classe politique et intellectuelle apparemment paralysée. Misère de la pensée critique et de la démocratie. Misère de la parole, donc.
Alors pour raviver la langue, le désir, la pensée, l’imagination politique, le goût de la liberté individuelle et collective, il faudrait peut-être songer à faire le deuil de papa Lévesque-Miron-Godin-Parizeau-toute-une-formidable-époque (ce qui ne veut pas dire l’oublier : tout n’était pas si formidable, tous non plus) et risquer l’aventure, l’incertitude. Quelle angoisse, l’incertitude, surtout en période de sombre temps fondé sur les jouissances : le confort et la sécurité - mot fétiche de Couillard -, c’est vrai! Pas facile de penser et de désirer par soi-même, c’est vrai, il arrive qu’on se fourvoie. Mais comme chantait Georges Brassens au siècle dernier, « la bandaison, papa, ça ne se commande pas. »
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