Citations


Robert Walser, La promenade

« Dans l’ensemble, le besoin permanent de goûter à des choses toujours complètement nouvelles et d’en jouir me paraît dénoter la mesquinerie, le manque de vie intérieure, la coupure d’avec la vraie nature, et un intellect médiocre et défectueux. Ce sont les petits enfants, à qui sans cesse il faut montrer quelque chose d’autre et de nouveau, n’importe quoi, pour qu’ils ne soient pas mécontents. L’écrivain sérieux ne saurait en aucune façon se sentir la vocation d’accumuler la matière, d’être le serviteur empressé d’une avidité inquiète; en bonne logique, il ne redoute absolument pas quelques répétitions, quoique naturellement il s’efforce toujours avec diligence de pallier attentivement les ressemblances fréquentes. »

On dirait la description de la société de consommation et de nos démocraties marchandes animées par les médias et ceux qu'on appelle les travailleurs des industries culturelles qui amalgament tout autant la littérature de masse que les agences de publicités, le plumitif et le créatif, à tel point qu'il est devenu impossible de distinguer littérature jeunesse et littérature adulte (à moins qu'elle soit pornographique, et encore, cela dépend toujours de la définition de "pornographie").





Arthur Cravan:

"Dans la rue on ne verra bientôt plus que des artistes et l’on aura toutes les peines du monde à y découvrir un homme. Ils sont partout : les cafés en sont pleins, de nouvelles académies de peinture ouvrent chaque jour."



"Je sens également que l’art à l’état mystérieux de la forme chez un lutteur a plutôt son siège dans le ventre que dans le cerveau, et c’est pourquoi je m’exaspère lorsque je suis devant une toile et que je vois, quand j’évoque l’homme, se dresser seulement une tête. Où sont les jambes, la rate, le foie?
C’est pourquoi je ne puis avoir que du dégoût pour la peinture d’un Chagall ou Chacal, qui vous montrera un homme versant du pétrole dans le trou du cul d’une vache, quand la véritable folie elle-même ne peut me plaire parce qu’elle met uniquement en évidence un cerveau alors que le génie n’est qu’une manifestation extravagante du corps."


"Tout noble a du voyou en lui et tout voyou du noble parce qu’ils sont les deux extrêmes. La distinction étant enfermée dans des limites n’est jamais qu’elle-même et appartient au talent."


À propos de Marie Laurencin (une peintre de l’exposition des Indépendants à Paris à laquelle Cravan consacre le numéro 4 de Maintenant, revue dont il était le fondateur et l'unique rédacteur, signant de différents pseudonymes, Arthur Cravan étant lui-même le pseudonyme de Fabian Lloyd, tout le monde sait ça):

"C’est outrager l’Art que de dire que pour être un artiste il faut commencer par boire et manger. Je ne suis pas une réaliste et l’art est heureusement en dehors de toutes ces contingences (et ta sœur?).
L’Art, avec un grand A, est, au contraire, chère Mademoiselle, littérairement parlant, une fleur (ô, ma gosse!) qui ne s’épanouit qu’au milieu des contingences, et il n’est point douteux qu’un étron soit aussi nécessaire à la formation d’un chef-d’œuvre que le loquet de votre porte, ou, pour frapper votre imagination d’une manière saisissante, ne soit pas aussi nécessaire, dis-je, que la rose délicieusement alangourée [sic] qui expire adorablement en parfum ses pétales langissamment rosées sur le paros virginalement apâli de votre délicatement tendre et artiste cheminée (poil aux nénés!)."


« L’un disait à ma femme : "Que voulez-vous, Monsieur Cravan ne vient pas assez parmi nous." Qu’on le sache une fois pour toutes: Je ne veux pas me civiliser.»


"Les abrutis ne voient le beau que dans les belles choses."
Marie Lowitska, pseudonyme d'Arthur Cravan.



"Avec des lecteurs aussi intellectuels que les miens, je suis obligé de m’expliquer une fois de plus et de dire que je trouve un être intelligent seulement lorsque son intelligence a un tempérament, étant donné qu’un homme vraiment intelligent ressemble à un million d’hommes vraiment intelligents. Pour moi donc un homme fin ou subtil n’est presque toujours qu’un idiot (l'auteur souligne)."



À André Level, 1916

"… c’est que j’ai justement des amours fous, des besoins immodérés : je voudrais voir le printemps du Pérou, avoir l’amitié d’une girafe et quand je lis, dans le Petit Larousse, que l’Amazone avec un cours de 6 420 kil. est le premier par son débit des fleuves du monde, ça me fait un tel effet que je ne pourrais pas même le dire en prose.
Vous voyez qu’il vaut mieux ne pas raisonner avec moi d’autant plus que je sais par avance que je vais au-devant de moments pénibles et même de souffrances puisque je n’ai pas d’argent. Je me consolerai toujours en pensant que je m’éloigne du quartier Montparnasse où l’art ne vit plus que de vols, de roublardises et de combinaisons, où la fougue est calculée, où la tendresse est remplacée par la syntaxe et le cœur par la raison et où il n’y a pas un seul artiste noble qui respire et où cent personnes vivent du faux nouveau."


"Ne voulant pas vous charger de transmettre mes salutations à qui que ce soit, puisque je déteste absolument tout le monde à l’exception d’une ou deux personnes, Monsieur Fénéon et un nommé Brumer (sic), sans compter les gens simples, il ne me reste plus qu’à vous envoyer mes vœux de bonheur pour la nouvelle année et de vous prier de me croire Votre bien Sincère,
Arthur Cravan, correspondance, Barcelone"



À Félix Fénéon, Barcelone, 1916

"Cher Homme,

Je vous parlerai encore de mon admiration sans borne pour la Bible et cents auteurs divers…"



"Quand on a la chance d'être une brute, il faut savoir le rester."


***

Eduardo Galeano:

"Les technocrates revendiquent le privilège de l'irresponsabilité:
- Nous sommes neutres, disent-ils."


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Saül Bellow:

"La "pureté" est le camouflage favori des formes les plus sombres de la criminalité. (Et de certaines formes de folie également.)"


***

Nicolaï Gogol:

"Quant au sujet qui lui tenait à cœur, Tchitchikov se montra d'une extrême prudence: jamais il ne parla d'âmes mortes, les qualifiant simplement d'inexistantes."


***

Luis Buñuel:

"Il y a un instrument infernal, qui aurait réellement pu être inventé par le diable, ou par un ennemi de l’humanité : la guitare électrique."


"J’ai déjà reconnu que culturellement je suis chrétien. J’ai dû dire deux mille rosaires et j’ai communié je ne sais combien de fois. Cela a marqué ma vie. Je comprends l’émotion religieuse et il y a certaines sensations de mon enfance que j’aimerais retrouver : la liturgie du mois de mai, les acacias en fleurs, l’image de la Vierge entourée de cierges. Ce sont des expériences inoubliables, profondes."



"Seul et vieux, je ne peux imaginer que la catastrophe ou le chaos. L’un ou l’autre me semble inévitable. Je sais bien que pour les vieillards le soleil était plus chaud au temps lointain de leur jeunesse. Je sais aussi que vers la fin de chaque millénaire il est d’usage d’annoncer la fin. Il me semble pourtant que le siècle tout entier conduit au malheur. Le mal a gagné la vieille et haute lutte. Les forces de destruction et de dislocation l’ont emporté. L’esprit de l’homme n’a fait aucun progrès vers la clarté. Peut-être même a-t-il régressé. Faiblesse, terreur et morbidité nous entourent. D’où surgiront les trésors de bonté et d’intelligence qui pourraient un jour nous sauver? Même le hasard me semble impuissant."


***

Frederico Fellini:

à propos de son film Et vogue le navire:

Question du journaliste : "[…] On a compris : les mass media sont devenus la nouvelle tête de Turc du grand metteur en scène italien. Pauvres de nous!"

Fellini : "Mais non, mais pas du tout. Je ne comprends pas. Je n’attaque jamais personne dans mes films. Je crois même n’avoir jamais fait un film « contre » quelque chose. Je dirais plutôt que mes films sont en faveur de quelque chose… Ils ne sont, à vrai dire, que des témoignages très objectifs, parce que ce dont ils témoignent avant tout, c’est de l’incertitude, de la confusion, de l’imprécision, du désarroi de leur auteur… Je ne pense pas être dominé par des croyances, par des principes, par des idées générales qui m’autoriseraient à attaquer quelqu’un ou quelque chose. Pas d’attaques donc contre les journalistes. Il y a seulement une tentative de regarder sous un angle, disons, humoristique, cette sorte de malédiction qui contraint le journaliste à fournir de l’information à tout prix et avec le plus grand nombre de détails possible. Et tout ça conditionné par l’idéologie, ou par les intérêts de son journal, parfois par goût du sensationnel, ou alors par un esprit de compétition vis-à-vis de ses concurrents. De sorte que l’événement qu’il est censé relater – ce qui, en somme, s’est vraiment produit – est tellement gonflé, transformé, déformé que ce qui nous parvient à la fin n’a plus aucun rapport avec l’événement en question."


"Je ne vais jamais au cinéma."


***

Jacques Vergès

"Je m'aime passionnément."

Réaction d'un ami : " C'est pas Xavier Dolan qui oserait dire ça aussi franchement de lui-même."


Ivan Illich

Il ne m'apparaît pas qu'il soit nécessaire aux États d'avoir une politique nationale de "santé", cette chose qu'ils accordent à leurs citoyens. La faculté dont ces derniers ont besoin, c'est le courage de regarder en face certaines vérités:

- nous n'éliminerons jamais la douleur;
- nous ne guérirons jamais toutes les affections;
- il est certain que nous mourons.

C'est pourquoi, nous qui sommes dotés de la faculté de penser, nous devons bien voir que la quête de la santé peut être source de morbidité. Il n'y a pas de solutions scientifiques ou techniques. Il y a l'obligation quotidienne d'accepter la contingence et la fragilité de la condition humaine. Il convient de fixer des limites raisonnées aux soins de santé classiques. L'urgence s'impose de définir les devoirs qui nous incombent en tant qu'individus, ceux qui reviennent à notre communauté, et ceux que nous laissons à l'État.

Oui, nous avons mal, nous tombons malade, nous mourons, mais il est également vrai que nous espérons, nous rions, nous célébrons; nous connaissons les joies de prendre soin les uns des autres; souvent nous nous rétablissons et guérissons par divers moyens. Si nous supprimons l'expérience du mal, nous supprimerons du même coup l'expérience du bien.

J'invite chacun à détourner son regard et ses pensées de la poursuite de la santé, et à cultiver l'art de vivre. Et, tout aussi importants aujourd'hui, l'art de souffrir et l'art de mourir.

Cité par Jean-Pierre Dupuy, La marque du sacré, p. 103-104



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